Grace Mumbi Ngugi,
Juge à la Cour suprême du Kenya et cofondatrice de la Fondation pour l’albinisme pour l’Afrique de l’Est
Petite, Grace Mumbi Ngugi avait entendu parler de personnes atteintes d’albinisme qui mouraient avant leur 40ème anniversaire. Agée aujourd’hui de 53 ans, elle a depuis longtemps vaincu sa peur de mourir jeune, et appris à vivre avec sa maladie et à se sentir bien dans sa peau.
Faites la connaissance de Grace Mumbi Ngugi
Faire face à l’ignorance
Mon expérience de la discrimination est moins marquante que celle de la plupart des personnes vivant avec l’albinisme. L’environnement dans lequel j’ai grandi, les écoles que j’ai fréquentées et ma formation professionnelle ont rendu ma vie et mon expérience moins difficiles qu’elles auraient pu l’être.
Pour autant, ma vie n’a pas été une sinécure. Ce n’est pas facile quand une bonne part de la société vous évite. En fait, pour les gens comme moi, il est pratiquement impossible de trouver un emploi, parce que tout le monde est convaincu que nous avons des difficultés intellectuelles, ou que nous portons malheur, quand nous ne sommes pas tout simplement un objet de curiosité.
Pendant toute mon enfance, j’étais le centre de l’attention partout où j’avais le courage de me rendre. Quand j’arrivais dans un lieu public, tout le monde se figeait, et je sentais tous les regards me détailler. Certains parlaient haut et fort, d’autres murmuraient, mais tous m’analysaient, surtout en termes désobligeants.
Un jour, ma mère m’a emmenée à Nairobi, la capitale, à l’hôpital national Kenyatta, pour me faire soigner parce que je voyais mal, mais les médecins ne savaient même pas que des lunettes protégeraient au moins mes yeux de l’éclat du soleil. Ce n’est qu’au lycée que j’ai enfin eu des lunettes équipées de verres photochromiques.
Je n’avais guère accès à des informations relatives à l’albinisme, alors je traquais le moindre renseignement dans les livres et les magazines. J’ai appris à prévenir les coups de soleil au moyen d’un écran solaire. Jusqu'à l'âge d'environ 17 ans, je n’utilisais aucun écran solaire, dont j’ignorais l’existence. C’est alors que j’en ai découvert dans un supermarché.
Changement de perception
Le problème réside dans la perception sociétale, qui veut qu’on fuie les enfants vivant avec l’albinisme, qu’on les prive d’abord d’éducation, puis de possibilités d’emploi, et qu’on les traite comme s’ils n’existaient pas. La plupart des gens ignorent que l’albinisme n’est pas douloureux, que ce n’est pas non plus une maladie mortelle, mais que c’est juste une absence de pigments de mélanine dans la peau, dans les cheveux et dans les yeux, ce qui nous donne une apparence différente à l’extérieur, alors que nous sommes pareils à l’intérieur.
Je suis l’une des cofondatrices en 2008 de la Fondation pour l’albinisme en Afrique de l’Est. Notre but est de veiller à l’acceptation sociale des personnes vivant avec l’albinisme. Ce n’est pas juste que les gens atteints de cette maladie meurent sans emploi, sans éducation, marginalisés, ou qu’ils soient mutilés ou tués au cours de rituels de sorcellerie.
Les mythes et les idées reçus à propos de l’albinisme sont aussi affligeants. Certains parents pensent que leurs enfants atteints d’albinisme peuvent ‘bronzer’ s’ils restent au soleil, ce qui, bien entendu, ne fait que provoquer de graves dégâts cutanés. De nombreux pères abandonnent leurs femmes quand elles donnent naissance à des enfants atteints d’albinisme, ignorant que les deux parents doivent être porteurs de l’albinisme pour qu’un enfant soit atteint de cette maladie.
Un meilleur avenir
Cette situation peut paraître désespérée et déprimante, mais je suis persuadée que les personnes atteintes d’albinisme ont un avenir prometteur. Nous avons une nouvelle Constitution qui garantit à tous les Kenyans le droit à la santé. A mon avis, le gouvernement va bientôt prendre conscience de sa responsabilité et mettre de l’écran solaire à disposition dans tous les hôpitaux pour les personnes atteintes d’albinisme, en particulier pour les enfants.
Nous avons tous besoin de structures de soutien tout au long de la vie, en particulier quand elle s’accompagne des problèmes auxquels bon nombre d’entre nous avons été confrontés. J’ai la chance de pouvoir compter sur ces structures: ma famille, une famille élargie qui m’aime pour ce que je suis, et quelques amis proches et merveilleux, auprès de qui je puise ma force.